Dès ses débuts, avec Dunia, en 1987, le cinéaste S. Pierre Yameogo avait fait aller et venir son cinéma entre ville et village. Au fil des décennies et des longs-métrages – la chronique adolescente de Laafi, la satire politique de Silmandé ou le drame géopolitique de Bayiri –, le réalisateur a suivi avec générosité, colère et humour, les bouleversements de son pays, le Burkina Faso, et de sa région, l’Afrique de l’Ouest. Il n’avait pas tourné depuis 2013 et est mort le 1er avril à Ouagadougou. Il avait 63 ans.
S. Pierre (pour Saint Pierre) Yameogo naît le 15 mai 1955, à Koudougou, une petite ville à une centaine de kilomètres à l’ouest de Ouagadougou, alors capitale de la Haute-Volta. Après avoir reçu une première formation à la télévision nationale, il étudie en France et aux Etats-Unis. En 1987, il réalise son premier film dans son pays, devenu entre-temps le Burkina Faso. Dunia suit une adolescente partagée entre le village où elle a grandi et la ville où elle étudie.
Une mise en cause du couple présidentiel
Son long-métrage suivant, Laafi, tout va bien, est une chronique purement urbaine consacrée aux efforts d’un groupe de jeunes bacheliers pour accéder à l’enseignement supérieur. S. Pierre Yameogo met en scène frontalement les maux qui rongent la jeunesse africaine, la corruption, l’égoïsme des élites. Présenté à la Semaine de la critique cannoise en 1991, le film est bien accueilli et sort dans les salles françaises à l’automne suivant.
Avec « Silmandé », S. Pierre Yameogo affronte directement la réalité politique et sociale de son pays
Deux ans plus tard, Wendemi, l’enfant du Bon Dieu est retenu pour Un certain regard. Mais cette histoire d’une filiation illégitime, qui, une fois de plus, fait osciller son personnage principal – un jeune homme à la recherche de ses origines – entre ville et village, ne tient pas tout à fait les promesses des déuts. S. Pierre Yameogo laisse passer cinq ans avant de réaliser Silmandé -Tourbillon. Cette fois, il affronte directement la réalité politique et sociale de son pays, mettant au centre de son film les tensions entre la communauté libanaise de Ouagadougou, représentée par une famille de riches commerçants, et les Burkinabés. Le public ouagalais fait un triomphe au film, où il reconnaît des figures familières, comme cette épouse de chef d’Etat qui fait sortir de l’or de son pays pour le mettre à l’abri en Suisse.
Dans un premier temps, le tournage de Silmandé a été menacé, les autorités burkinabées rechignant à laisser passer une mise en cause directe du couple présidentiel, Blaise et Chantal Compaoré. C’est finalement le chef de l’Etat lui-même, qui préfère ne pas se reconnaître dans le film, qui autorise sa mise en chantier, allant jusqu’à mettre son escorte de motards à la disposition de S. Pierre Yameogo. En Côte d’Ivoire, les exploitants libanais des salles d’Abidjan boycottent Silmandé.
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