Paul, 30 ans aujourd’hui, se souvient d’une histoire démarrée sur Tinder…
Le premier jour
« C’était l’époque où Tinder était gratuit et où je likais tous les profils sans regarder, en mode chalutier. J’ai un profil très marketing, côté photos. On me voit faire du skate ou habillé en médecin ou au bord d’une falaise façon “j’aime la nature”. En dessous, j’écris toujours des phrases un peu absurdes, “permanente est la révolte”, “le tiroir est dans la clé”, ça fait intello je-suis-pas-que-médecin. Je matche un jour avec une très belle blonde au visage chérubin. Sur sa première photo, elle fait un câlin à son chat tellement fort qu’on dirait qu’elle va l’étrangler. Ensuite, elle pose comme pour des magazines. Dans sa biographie, elle cite des écrivains russes.
C’est elle qui me parle en premier, ce qui est rare pour une fille. D’emblée, elle me dit qu’elle a envie de me rencontrer, car elle écrit un article sur les dragueurs de Tinder. Je fouine sur Internet, comprends qu’elle a effectivement un fanzine de mode et j’achète un peu son histoire. On passe deux semaines à discuter, de littérature, d’art, je me mets à palpiter devant cette Lolita surdouée, qui me divertit dans une ville où je m’ennuie, avec des conversations à l’hôpital alimentées par la météo ou les histoires de beuveries.
On décide de se rencontrer enfin, autour d’une exposition au Musée d’art moderne de Strasbourg. J’allais presque tous les jours faire du skate sur le parvis avec mes potes. A son arrivée, ils lui font presque une haie d’honneur, à tous vouloir voir autant que moi à quoi elle ressemble. Elle est très belle, ne veut pas me sourire, m’analyse, reste sur la défensive.
A court de banalités, on sort du musée, en se regardant dans les yeux comme des lycéens. En même temps, elle est lycéenne. On va s’asseoir sur un banc du quartier de la Petite France, il se met à pleuvoir comme dans les films. Les gens courent partout, les énarques avec leurs attachés-cases sur la tête. J’attrape sa main, je l’embrasse pendant dix minutes.
Je tiens une liste des filles avec lesquelles je couche, dans la section “Notes” de mon iPhone. Parfois, je n’ai même pas les noms, alors j’écris “fille de l’escalier” ou “interne de l’ascenseur”. Mais là, j’arrive un peu à sortir de l’habitude. Je lui propose quand même la classique : aller boire un thé chez moi – ça marche bien le coup du thé en général, ça fait mec rassurant qui lit des livres en savourant une infusion. L’eau a chauffé mais on n’a jamais eu le temps de mettre le sachet. Ensuite, elle est rentrée chez elle, ses parents l’attendaient. Je l’ai regardée partir, et j’ai pensé que celle-là, elle allait compter. Qu’elle allait m’extraire les mots que je n’arrivais pas à dire, le “je t’aime”, aux forceps. »
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