Voilà plusieurs semaines qu’il ne répondait plus au téléphone. Qu’il ne rappelait pas quand on lui laissait un message lui signifiant qu’en montant vers Corte (Haute-Corse), on passerait devant chez Jojo, à Peri, et que l’on pouvait s’arrêter, le temps de boire un café. Gilles Millet, longtemps journaliste à Libération, est mort samedi 21 avril à Paris, où il était hospitalisé depuis près de deux mois. Il avait 66 ans.
Sur ces photos jaunies qui remontent à l’année 1973, date de la création de Libération, on le reconnaît au milieu d’une bande de jeunes filles et gars, cheveux longs tombant sur les épaules, lunettes en écailles et silhouette fine. Parmi eux, nombreux sont ceux qui, à l’instar de Serge July, occuperont par la suite des postes de premier plan dans la presse française.
Pendant plus de vingt ans, Gilles Millet a été une figure de ce journal fondé sous la houlette de Jean-Paul Sartre, par une équipe de militants maoïstes dans la ferveur des années qui ont suivi Mai 68. Pourtant, maoïste, Gilles Millet ne l’était guère. Certes, il avait rejoint la Gauche prolétarienne (GP) au sortir du lycée de Melun (Seine-et-Marne), en 1970, mais il n’avait rien du militant doctrinaire. Comme il le disait, la GP, il « s’en foutait ». Il était plutôt une sorte de libertaire, « révolté contre l’injustice », se souvient Béatrice Vallaeys, copine de lycée à Melun et ancienne de Libé. « Ce qui passionnait Gilles, c’était les marges de la société », dit-elle. Etudiant en philosophie à Créteil, il dévorait Foucault, Deleuze et Guattari tout en avouant un penchant pour Camus.
« D’une curiosité inouïe »
C’est en 1972-1973 qu’il « entre en journalisme » par des voies propres à l’effervescence militante de cette période. Avec une petite équipe, ils s’immergeaient dans un lieu où se déroulait un conflit social. Ils en tiraient Pirate, un journal, sorte de fanzine, qu’ils vendaient sur place et dont les maigres revenus étaient censés pourvoir à leurs maigres besoins. Lesquels se résumaient aux cigarettes que Millet fumait les unes à la suite des autres, et quelques adjuvants dont on taira ici la nature.
Une fois lancé dans l’aventure de Libération, Gilles Millet se spécialise dans les affaires de banditisme et de terrorisme. Il côtoie alors les principaux acteurs de ces milieux interlopes de la fin des années 1970 jusqu’à la période actuelle. Ses accointances ne relevaient pas tant d’une fascination pour le monde des truands que « d’une curiosité inouïe », assure Béatrice Vallaeys. « Il fréquentait les voyous, et plus tard en Algérie les hommes des GIA ou les activistes du FIS, pour essayer de comprendre », souligne-t-elle.
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