Comment faire sa vie et trouver sa place ailleurs que dans son pays ? Comment créer un chez-soi alors qu’une partie de soi est restée là-bas ? Taysir Batniji, 51 ans, connaît bien ces questions, lui qui s’est installé en France sans l’avoir voulu. En 2006, l’artiste originaire de la bande de Gaza participait à une exposition à Amman, en Jordanie. Le jour du vernissage a coïncidé avec l’enlèvement du soldat Gilad Shalit, à Gaza, par un groupe palestinien. Le gouvernement israélien a réagi en lançant l’opération « Pluies d’été », marquée par des bombardements, des destructions, le blocage de Gaza… Taysir Batniji a tenté plusieurs fois de rentrer chez lui, en vain.
L’artiste a finalement rejoint la France, où il avait fait des études, abandonnant tout derrière lui : sa famille, ses amis, son atelier, tous ses plans d’avenir. « Je suis reparti de zéro, dit-il de sa manière posée et douce. Parfois, je me réveillais la nuit sans savoir où j’étais. Puis la vie a repris son cours. » Il s’est marié à une Française, est devenu père de famille. Et il a renoncé à tenter de retourner à Gaza, toujours en état de siège, de peur d’y rester coincé. Sa mère y est morte l’an dernier.
Projet-miroir
Le plasticien a construit, depuis Paris, une œuvre renommée, à base d’installations, de vidéos et de performances, qui a été exposée au Jeu de paume et à la Biennale de Venise. Le conflit israélo-palestinien y occupe une grande place. « C’est une œuvre biographique plus que politique, précise-t-il. J’essaie que ça ne soit pas ma seule inspiration. » Aux Rencontres d’Arles, l’artiste, qui utilise souvent la photographie, expose des séries anciennes, dont Watchtowers (2008), hommage ironique à l’œuvre des Becher, où les miradors israéliens remplacent les hauts-fourneaux. Mais, surtout, il présente pour la première fois en Europe Home Away from Home, un travail réalisé aux Etats-Unis en 2017 dans le cadre d’Immersion, un programme de résidence de la Fondation Hermès et avec la fondation Aperture, pour lequel il a photographié la vie de six de ses cousins installés en Floride et en Californie, qu’il a connus dans l’enfance.
« C’est une œuvre biographique plus que politique. J’essaie que ça ne soit pas ma seule inspiration. »
Un projet-miroir pour Taysir Batniji, qui interroge inévitablement ses propres racines, ses valeurs et ses choix. « La comparaison est inévitable, dit-il. Cela questionne ma propre identité : qu’est-ce qu’on a gardé ? Il n’y en a pas un qui soit plus palestinien que l’autre, mais on vit tous les choses différemment. »
Il vous reste 62.1% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.