Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Avec des enceintes connectées, des conversations loin d’être privées

Comme pour celles d’Apple, Google ou Microsoft, des milliers d’employés d’Amazon analysent les enregistrements des enceintes Echo et de son assistant vocal Alexa. Officiellement pour « améliorer l’expérience client ».

Par 

Publié le 12 avril 2019 à 16h19, modifié le 12 avril 2019 à 17h17

Temps de Lecture 5 min.

Quand un utilisateur pose une question à son assistant vocal, il n’y a pas qu’un ordinateur qui écoute… L’agence de presse Bloomberg a consacré, jeudi 11 avril, une enquête aux milliers de personnes chargées, par Amazon, d’écouter une partie des enregistrements des utilisateurs d’Alexa, son assistant vocal.

Alexa est notamment présente dans les enceintes connectées Amazon Echo. Vendues à bas prix, ces enceintes ont commencé à coloniser les foyers français. Quand on leur pose une question, celle-ci est retransmise à de grandes fermes d’ordinateurs qui les déchiffrent immédiatement, puis choisissent la réponse à renvoyer. Le tout piloté par un programme d’intelligence artificielle (IA) capable, selon le site d’Amazon, de s’améliorer de façon autonome : « Alexa vit dans les nuages et devient chaque jour un peu plus intelligente. »

Or, pour s’améliorer, ce système d’IA est épaulé par des milliers d’employés en chair et en os, qui écoutent et décortiquent des requêtes d’utilisateurs. Pourtant, lorsqu’on consulte la foire aux questions du site français d’Amazon, rien ne le laisse entendre.

Un travail d’annotation

Ces personnes retranscrivent chacune jusqu’à un millier de questions par jour, mot à mot, puis les annotent pour aider le programme d’IA à mieux interpréter les intentions des utilisateurs. Par exemple, explique l’article de Bloomberg, Alexa comprend souvent mal l’expression française « avec ça », qu’elle confond avec… « Alexa ». Ce qui peut malencontreusement déclencher un enregistrement non désiré par l’utilisateur. Les employés chargés d’écouter doivent donc labelliser toutes les occurrences de l’expression « avec ça » qu’ils entendent – ainsi, le programme d’IA pourra s’améliorer et faire moins d’erreurs à ce sujet précis. Ces employés peuvent aussi écouter les requêtes et vérifier si Alexa leur a répondu correctement.

Bloomberg a pu parler (sous le sceau de l’anonymat) à sept employés d’Amazon qui travaillent à l’amélioration d’Alexa. Selon eux, les bureaux des employés qui exercent ce travail sont situés aux Etats-Unis, mais aussi en Inde, au Costa Rica et en Roumanie. Ils travaillent soit directement pour Amazon, soit pour des sous-traitants.

Des enregistrements pas si anonymes

Quels sont les enregistrements qui arrivent jusqu’à leurs oreilles ? Interrogé par Bloomberg, Amazon a assuré qu’il ne s’agissait que d’un « échantillon extrêmement petit », dans le but « d’améliorer l’expérience client ».

En principe, une enceinte Echo n’est censée enregistrer ses propriétaires qu’au moment où ceux-ci posent leurs questions à Alexa. Occasionnellement cependant, l’assistant vocal enregistre des conversations qui ne le concernent pas, après avoir détecté par erreur la commande vocale « Alexa » censée déclencher l’enregistrement. Selon l’enquête de Bloomberg, ces erreurs représenteraient jusqu’à 10 % des enregistrements écoutés par les employés d’Amazon.

Le journaliste de Bloomberg met en avant des dangers avérés pour la vie privée :

« De temps en temps, les employés tombent sur des enregistrements qui auraient dû rester privés : une femme qui chante très faux sous sa douche, ou un enfant qui crie à l’aide, par exemple. »

Deux personnes interrogées par Bloomberg ont même cru être témoins d’une agression sexuelle, mais selon l’agence, leur direction leur aurait fait savoir que leur métier n’était pas d’interférer dans ce genre d’affaire. Ces enregistrements, par ailleurs, ne sont pas seulement consultables sur l’ordinateur d’un seul employé, dans un logiciel ne donnant aucune possibilité de partage, écrit Bloomberg : « Les équipes utilisent des logiciels de dialogue en groupe pour partager certains enregistrements, lorsqu’ils ont besoin d’aide pour déchiffrer une voix inaudible par exemple, mais aussi lorsqu’ils tombent sur quelque chose d’amusant. »

Amazon a tenu à préciser à l’agence de presse que « les employés n’ont pas un accès direct aux informations qui pourraient identifier la personne enregistrée ». Mais d’après Bloomberg, les employés ont accès, sur leur écran, au prénom du propriétaire de l’enceinte, ainsi qu’à un numéro de compte. En outre, ces enregistrements ne sont pas amputés des informations personnelles qu’ils pourraient contenir, adresse ou nom, avant que ses employés puissent les écouter. Dans de rares cas, il est donc possible que des employés puissent identifier le propriétaire d’une l’enceinte.

Apple, Google et Microsoft s’appuient aussi sur des humains

Les enceintes d’Amazon (à gauche) se partagent le marché avec celles d’Apple (au centre) et Google (à droite).

Les trois autres grands fabricants d’enceintes connectées, Apple, Google et Microsoft, recourent, eux aussi, à des écoutes humaines pour améliorer les performances de leurs produits. En 2018, l’association française de défense des libertés numériques La Quadrature du Net a recueilli le témoignage d’une ancienne employée d’un sous-traitant de Microsoft, Julie, qui travaillait à l’amélioration de l’assistant personnel de Microsoft, Cortana, depuis son domicile. Dans une longue vidéo, visage caché, elle y décrit un travail proche de celui des employés d’Amazon.

Julie y évoque par exemple les recherches de vidéos pornographiques de certains utilisateurs. « Je me demandais à chaque fois si ces gens avaient conscience qu’une personne extérieure allait entendre leurs petits délires sexuels. » Elle précise que la plupart des enregistrements duraient dix à quinze secondes, mais que certains duraient des minutes : des utilisateurs dictant leurs comptes rendus professionnels ou leurs courriers administratifs, ou encore des conversations Skype traduites à la volée par Skype Translator (Skype appartient à Microsoft).

« Nous n’avions jamais l’intégralité des conversations évidemment, elles étaient découpées en petites pistes ; cependant on pouvait tomber sur plusieurs morceaux d’une même conversation dans une même série de transcriptions. C’était suffisant pour dresser un profil basique de l’utilisateur ou de son humeur du moment par exemple. (…) Inévitablement, il arrivait que les utilisateurs révèlent un numéro de téléphone, une adresse, des coordonnées, date de naissance, numéros importants, événements auxquels ils allaient se rendre, etc. (…) Pas un seul des nombreux e-mails du manager que nous recevions chaque semaine n’a jamais été dédié au respect de la vie privée – en ligne et hors ligne – des utilisateurs. »

Dans ce témoignage édifiant, Julie décrit un processus de recrutement sommaire et une relation de travail distante qui posent des questions sur le degré d’attention à la vie privée du sous-traitant de Microsoft.

« Pour pouvoir être embauché – ils recrutaient en grand nombre –, il fallait s’inscrire sur le site de l’entreprise, postuler, puis suivre une formation en ligne conclue par un examen final. Si on avait un pourcentage de réussite satisfaisant, on était engagé. Auquel cas, le manager nous faisait créer un compte sur le site Internet de télétravail (…), et le travail commençait. Il n’y avait pas besoin d’envoyer son CV, ni aucun entretien individuel avec un responsable ou un manager, ni par téléphone, ni par Skype, ni par e-mail, rien. »

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.