Daniel Cohen dirige le département d’économie de l’Ecole normale supérieure et le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap). Il est également membre du conseil de surveillance du « Monde ». Mardi 15 mai, il était l’invité du Club de l’économie du « Monde ».
Vous dites que la présidence Macron est en train de gâcher sa chance. Pourquoi ?
Parce que, comme ses prédécesseurs Chirac et Sarkozy, il a très vite dépensé ses cartouches fiscales et budgétaires. Quand on fait la liste de toutes les promesses de suppression de taxes et d’impôts, on monte à 35 ou 40 milliards d’euros. Il est donc déjà sur le fil du rasoir, ce qui l’empêche de réaffecter des ressources là où ce serait nécessaire, comme la formation ou l’université.
Bien sûr, on peut réduire les dépenses de l’Etat, mais nous ne sommes pas sur la même échelle de temps. On ne peut pas supprimer d’un coup des professeurs de lycée alors que c’est tout de suite que l’on a besoin d’enseignants dans les BTS et les universités. Sur la SNCF, par exemple, il n’a pas la capacité fiscale de reprendre toute la dette. Même chose pour l’élargissement du droit aux indemnités chômage pour les démissionnaires et indépendants. Il a suffi de trois secondes pour dire que c’était insoutenable fiscalement. Ce qui explique qu’il gouverne vite, en force, sans rentrer trop dans la profondeur des choses, car il n’en a pas les moyens.
Doit-on injecter plus de concurrence dans le système ?
Je ne le crois pas. Depuis cinquante ans, avec la numérisation du monde, nous assistons à une mise en concurrence générale de tous les acteurs. Nous sommes sortis de ces grandes entreprises pyramidales dans lesquelles tous les segments de la société étaient intégrés pour aller vers un monde où la sous-traitance devient la règle, c’est-à-dire la mise en concurrence des fournisseurs par rapport aux donneurs d’ordre. Chacun est, en cascade, soumis à une concurrence croissante. Cette pression croissante sur tous les secteurs d’activité crée de l’instabilité, de l’incertitude, ce sentiment de déperdition, de déliaison sociale qui est à la base du populisme.
Cela est vrai aussi dans le domaine syndical. Pour les économistes, il existe une relation entre le taux de syndicalisation et le taux d’emploi. Quand il n’y a pas de syndicats du tout, c’est la loi du marché qui domine, l’Angleterre ou les Etats-Unis. Des sociétés très inégalitaires mais de plein-emploi. Quand il y a un syndicat fort, comme dans les pays scandinaves ou en Allemagne, il n’y a pas de chômage non plus, parce que le syndicat est capable d’internaliser au niveau macroéconomique l’équilibre entre salaires et emploi. Un syndicat puissant au niveau national est capable de dire : « Le moment est venu de faire une certaine modération salariale », comme cela a été le cas aux Pays-Bas dans les années 1980. Un des dysfonctionnements de la France, c’est la rivalité entre les syndicats. Il y a une prime à la démagogie et on n’internalise pas bien les conséquences de ses décisions.
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