La justice française a confirmé, mercredi 19 septembre, que l’Azerbaïdjan, qualifié de « dictature » par la journaliste Elise Lucet dans l’émission « Cash Investigation », ne pouvait engager de poursuites en diffamation, à l’instar de tout autre Etat.
Comme en première instance, les poursuites de l’ex-république soviétique du Caucase ont été déclarées irrecevables par la cour d’appel de Versailles.
Impossible de diffamer un Etat
« Un Etat étranger ne (peut) pas être assimilé à un particulier » et la loi relative à la liberté de la presse de 1881 « ne permet pas à un Etat étranger, pas plus qu’à l’Etat français, d’engager une poursuite en diffamation », a rappelé la cour dans un arrêt dont l’AFP a obtenu copie. Seuls les responsables et représentants d’un Etat peuvent demander réparation s’ils estiment que leur réputation ou leur honneur ont été entachés.
La cour a donc estimé que c’était « à bon droit que les premiers juges » du tribunal correctionnel de Nanterre avaient « rejeté les demandes formées par l’Etat d’Azerbaïdjan ».
Selon l’organisation Reporters sans frontières (RSF), c’était la première fois qu’un Etat étranger poursuivait un journaliste sur le sol français.
L’Azerbaïdjan avait porté plainte peu après la diffusion le 7 septembre 2015 d’un reportage sur les coulisses des voyages présidentiels de François Hollande. La présentatrice Elise Lucet avait introduit le sujet en présentant le régime de Bakou comme une « dictature, l’une des plus féroces au monde ».
Le ministère public avait requis à l’audience, le 13 juin, un abandon de la procédure ou, à défaut, une relaxe de France Télévisions et de Mme Lucet, ainsi que de l’auteur du reportage, le journaliste Laurent Richard, qui avait qualifié le chef de l’Etat caucasien de « dictateur » et de « despote » dans une émission de radio.
Liberté d’expression
« Pour nous, cette décision aboutit à ce que toute personne puisse tenir des propos diffamatoires voire racistes ou antisémites sans qu’un Etat puisse se défendre », a réagi mercredi Laurence Dauxin, l’une des avocates de l’Etat caucasien. « C’est un déni de justice », a-t-elle estimé, précisant que son client réfléchissait à un pourvoi en cassation ou à lancer une nouvelle procédure, au civil.
A contrario, pour Juliette Félix, avocate de France Télévisions et d’Elise Lucet, l’arrêt de la cour d’appel est « une très bonne décision » qui « garantit la liberté d’expression des journalistes dénonçant les exactions commises par les dictatures et autres Etats autoritaires ». « C’est une très bonne nouvelle pour la démocratie. Les dictatures ne peuvent pas exporter leur censure en France », a renchéri Virginie Marquet, avocate de M. Richard.
L’Azerbaïdjan occupe la 163e place sur 180 dans le classement de la liberté de la presse établi en 2018 par l’ONG Reporters sans frontières.
En partenariat avec dix autres rédactions européennes, dont l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), le Berlingske danois, la Süddeutsche Zeitung et le Guardian, Le Monde a disséqué le fonctionnement de la « Lessiveuse » (« Laundromat ») azerbaïdjanaise : 16 000 transactions effectuées par quatre sociétés offshore proches du régime, entre 2012 et 2014.
Parmi les bénéficiaires des 2,5 milliards d’euros distribués, on trouve l’Allemand Eduard Lintner et l’Italien Luca Volontè, deux anciennes figures de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, une institution dont l’objet est la défense des droits humains.
L’Azerbaïdjan, où toute opposition est muselée, a ainsi érigé en priorité de sa diplomatie la lutte contre les critiques de sa politique en matière de droits humains. Le pays cherche aussi des soutiens dans le conflit du Haut-Karabakh, qui l’oppose à son voisin arménien. Autre personnalité ayant reçu des virements de la « Lessiveuse » : Kalin Mitrev, mari de l’actuelle directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova.
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