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« Images-pouvoirs ou images-désirs ?, par Georges Didi-Huberman

Le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman interroge les usages qui sont faits des images.

Publié le 03 octobre 2018 à 16h00, modifié le 05 octobre 2018 à 07h01 Temps de Lecture 6 min.

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Les Rendez-vous de l’histoire

Photogramme du film « Le Voyeur », de Michael Powell (1960).

Il y a bien des raisons pour s’inquiéter du pouvoir des images. Les images ont du pouvoir. Pire : elles sont du pouvoir. Lorsqu’on disait, autrefois, que « le portrait de César, c’est César », on voulait entendre par là que l’effigie du souverain sur les monnaies avait une force de loi effective jusqu’aux confins de l’Empire, c’est-à-dire en l’absence de l’empereur : l’image sur la monnaie assumait donc l’autorité même du souverain. Aujourd’hui, les hommes de pouvoir promulguent leurs décrets avec un œil rivé sur ce qu’ils nomment eux-mêmes leur « image » : une nouvelle « loi sur la pauvreté », par exemple, sera-t-elle susceptible de modifier l’image qui colle à la peau d’un « président des riches » ?

Impuissance des images

Entendues ainsi, les images seraient comme les monnaies, les bannières, les boucliers, les masques, les appâts – voire les armes à part entière, s’il est vrai que les images ont une efficacité qui leur est propre –, bref, autant de dispositifs inhérents à toute stratégie politique et à tout processus historique en général. En ce sens, les anthropologues, les sémiologues ou les historiens ont bien eu raison de parler du « pouvoir des images » ou de leur « force politique ».

On ne se prive pourtant pas de parler, symétriquement, de l’impuissance des images. Dans quels limbes de la conscience politique la photographie du petit Aylan Kurdi, retrouvé mort sur la plage de Bodrum, en Turquie, le 2 septembre 2015, s’est-elle perdue, à part son appropriation indigne par tel artiste contemporain ? Il y en a tellement, des images, qu’on finit par se retrouver dans une situation paradoxale. Bannières, boucliers ou appâts, les images sont faites pour capter notre attention. Mais elles sont si nombreuses, omniprésentes et mises en équivalence, qu’on ne les regarde plus vraiment : c’est trop, on n’y arrive plus, l’œil se noie. Les images devraient être faites aussi pour nous apprendre quelque chose de l’état du monde et pour nous toucher, qui sait. Mais leur diffusion même, qui s’apparente à celle d’un nuage toxique, nous suffoque bientôt et nous porte à détourner les yeux, à nous protéger de cela même qui, en elles, devrait nous regarder.

Les images sont comme les mots, elles savent mentir ou bien faire lever une vérité qui n’avait pas été dite jusque-là

D’un côté, donc : des fascinés qui ne voient plus rien (car il faut un peu de distance pour voir quelque chose avec netteté). D’un autre côté : des indifférents ou des blasés qui ne savent plus regarder (car il faut un mouvement d’approche, voire d’implication, pour savoir regarder). Alors, que faire ? Comment s’orienter dans la jungle des images ? Constater que les images participent de la construction de nos mythologies – avec une efficacité aussi inquiétante que remarquable –, cela n’est faire cependant que la moitié du chemin. Les historiens se sont trop souvent arrêtés à cette seule notion fonctionnelle, idéologique ou propagandiste, des images. Les philosophes, eux, en ont quelquefois profité pour restaurer l’antique méfiance platonicienne à l’égard de tout ce qui relève du monde sensible. C’est ce qui, à une certaine époque, aura par exemple guidé Claude Lanzmann (1925-2018) dans son refus des images d’archives de la Shoah comprises comme toutes les autres : de simples simulacres et, donc, des falsifications de l’Histoire.

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