L’annonce de la signature par le Bangladesh et la Birmanie, jeudi 23 novembre, d’un accord portant sur le rapatriement des Rohingya laisse de multiples points d’interrogation, tandis que cette minorité musulmane continue d’arriver côté bangladais. Plus de 620 000 de ses membres ont quitté leurs terres et villages pour franchir le fleuve Naf, qui marque la frontière entre les deux pays, depuis le 25 août. Ce jour-là, une guérilla se revendiquant de la défense de cette minorité, l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA), avait attaqué une vingtaine de postes de police birmans à coups de fusils et de machettes. L’armée et des milices locales ont en retour lancé une répression sans précédent.
L’accord signé jeudi « stipule que le programme de retours doit débuter dans les deux mois », selon le ministère des affaires étrangères du Bangladesh. Un groupe de travail commun doit être établi sous trois semaines. « Nous sommes prêts à les reprendre aussitôt que le Bangladesh nous [aura renvoyé] les documents », a déclaré Myint Kyaing, un officiel du ministère birman du travail, de l’immigration et de la population. « C’est le premier pas », a salué le ministre des affaires étrangères bangladais, Abul Hassan Mahmoud Ali, qui a signé l’accord à Naypyidaw, la capitale birmane, après un entretien avec la chef de la diplomatie et conseillère d’Etat birmane Aung San Suu Kyi.
Papiers en cendres
Le Bangladesh, accablé par la pauvreté et pays déjà le plus densément peuplé de la planète (micro-Etats mis à part), n’envisage nullement d’accueillir les Rohingya sur le long terme. Dacca a d’ailleurs refusé l’installation de nouveaux camps de réfugiés s’ajoutant à ceux déjà déployés lors de précédentes vagues d’arrivées. La première ministre bangladaise, Sheikh Hasina, ne dissimule guère son empressement. « J’en appelle au Myanmar [nom officiel de la Birmanie] pour qu’il commence rapidement à reprendre ses ressortissants au Bangladesh », a-t-elle répété jeudi.
De son côté, le Myanmar est sous la pression de ses partenaires internationaux. L’exode causé par son armée menace de saper le rapprochement qu’a pu entreprendre le pays avec les Etats-Unis et les Européens depuis qu’il s’est engagé, en 2011, sur la voie de la démocratisation. Washington, par la voix de son secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, a qualifié, mercredi 22 novembre, de « nettoyage ethnique » les opérations contre les Rohingya.
Les détails du protocole n’ont toutefois pas été rendus publics. La partie birmane s’est contentée de préciser qu’il fait référence aux conditions de retour sur lesquelles les deux Etats s’étaient entendus lors d’un précédent exode, en 1992. Cette méthode avait permis à 236 000 personnes de rentrer jusqu’en 2005, mais il leur avait fallu déposer des documents officiels pour preuve de leur résidence passée. Or, nombre de familles se sont enfuies ces trois derniers mois avec seulement leurs bébés sous le bras, au mieux des rations de riz, leurs papiers partant en cendres derrière elles avec le reste de leurs possessions.
Un ancien attaché de défense bangladais au Myanmar, Shahidul Haque, expliquait, en octobre, dans le Dhaka Tribune, que le voisin birman se réfère aux retours de 1992, par opposition à ceux qui avaient suivi une autre vague de départs, en 1978, car « dans l’accord de 1992, il est question de vérification, ce qui est totalement entre les mains du Myanmar ». La première ministre bangladaise avait transmis, en 2011, aux autorités birmanes une liste documentée de 6 000 individus à rapatrier, mais la Birmanie a fait traîner le processus de vérification depuis, ajoutait M. Haque.
Toute l’incertitude repose sur la sincérité de la démarche de la Birmanie, et notamment de son armée. Les exécutions et le recours récurrent au viol visaient à créer chez les survivants un traumatisme tel qu’ils seront réticents à retourner sur leurs terres. Quelles garanties les Rohingya qui se risqueraient à rentrer auront-ils contre les soldats qui ont tué leurs proches en toute impunité ?
« Parler de retours est prématuré »
La destruction des villages est un état de fait durable. Win Myat Aye, le ministre birman du développement social, de l’aide et des relocalisations, évoquait, fin septembre, la possibilité pour l’Etat de s’approprier les terrains des Rohingya partis. « Selon la loi, les terres brûlées deviennent des terres gérées par l’Etat », déclarait ce membre de la Ligue nationale pour la démocratie, la formation de la Prix Nobel de la paix. Les Rohingya seront-ils parqués dans des camps renforçant encore l’apartheid dont ils sont victimes, comme c’est le cas des 100 000 déplacés intérieurs d’une précédente vague répressive en 2012 ?
« Parler de retours est clairement prématuré à un moment où les réfugiés rohingya continuent presque quotidiennement d’arriver au Bangladesh pour fuir le nettoyage ethnique, a dénoncé jeudi Charmain Mohamed, responsable des droits des réfugiés et des migrants à Amnesty International. Au minimum, les Rohingya devraient pouvoir demander l’asile au Bangladesh, et ceux qui ne veulent pas rentrer ne doivent pas y être forcés. »
Le chef des forces armées birmanes, Min Aung Hlaing, a déjà fait savoir, dans un post publié sur son site Internet, le 15 novembre, où est sa priorité : la minorité bouddhiste locale. Il est sur ce point en phase avec une opinion birmane par ailleurs très critique à l’égard de la tatmadaw (« armée »), qui l’a longtemps opprimée. « L’attention doit se porter sur la volonté des membres de la population d’ethnie locale arakanaise, qui sont de vrais citoyens birmans », écrivait-il. « Actuellement, il est impossible d’accepter le nombre de personnes proposées par le Bangladesh », ajoutait l’homme qui a la main sur les troupes birmanes.
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