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« Momo challenge ».

« Momo Challenge » sur WhatsApp : itinéraire d’une psychose collective

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Publié le 18 septembre 2018 à 16h49, modifié le 19 septembre 2018 à 06h43

Temps de Lecture 36 min.

La femme-poule, une sculpture à l’origine du « Momo Challenge ».

« Sordide », « macabre », « dangereux »… Depuis son apparition au cœur de l’été et la mort d’une jeune Argentine de 12 ans, le « Momo Challenge », supposément en vogue parmi les adolescents, inquiète, les parents en premier lieu. En France, le député La République en marche Gabriel Attal a demandé au ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, des mesures pour endiguer le phénomène.

Le principe du « Momo Challenge » ? Contacter, sur la messagerie instantanée privée WhatsApp, le numéro d’un individu surnommé « Momo » affichant un visage effrayant de femme-poule, qui propose de relever des défis jusqu’au plus extrême, le suicide.

Des messages – et des articles de presse – alarmistes se sont multipliés ces dernières semaines pour alerter sur les dangers du « Momo Challenge ». Au Canada, le ministère de la santé et des services sociaux a mis en garde les écoles. En Inde, où la psychose est forte, les médias évoquent même des internautes menacés de mort s’ils n’acceptaient pas de jouer au « Momo Challenge ». Le Pakistan est allé jusqu’à annoncer l’interdiction de ce dernier, sans préciser comment il comptait s’y prendre.

Articles sur « Momo challenge » dans Google Actu.

Problème : aucun témoignage fiable ne prouve qu’un tel challenge a été réellement « joué » par des adolescents. Qu’en est-il réellement ?

Aux origines de la légende urbaine

Tout part, deux mois plus tôt, d’une photo postée sur le forum r/creepy de Reddit, le 10 juillet, par l’internaute AlmightySosa00. Montrant une femme nue à la grimace inhumaine, elle récolte 5 000 « like », 1 000 réponses, et fascine.

Un utilisateur de Reddit identifie l’image : il s’agit d’une photographie de sculpture prise en 2016 dans une galerie d’art de Tokyo. Les yokai, les spectres du folklore japonais, sont le thème de l’exposition, et l’œuvre est signée Link Factory, une entreprise d’effets spéciaux pour films d’horreur.

La sculpture est baptisée Ubume, du nom d’une figure traditionnelle nippone correspondant au fantôme d’une mère morte en couches. Elle doit son allure à un jeu sur les trois idéogrammes de son nom, 姑獲鳥 – littéralement « mère », « capture » et « oiseau ».

A l’origine de « Momo », la sculpture Ubume, nom d’une figure traditionnelle nippone exposée dans une galerie de Tokyo en 2015.

Le « numéro maudit » de WhatsApp

Les premières mentions publiques d’un numéro WhatsApp datent aussi du 10 juillet. Sur YouTube, un utilisateur argentin appelé El Deadpool met en ligne une tentative de conversation, datée de la veille, dans une vidéo intitulée en espagnol « J’envoie des messages à Momo “le numéro maudit de WhatsApp” ».

Le numéro de téléphone utilisé est alors mexicain. Il ne répond pas, mais il s’agit de la toute première association entre la figure de la femme-poule et l’application de messagerie. Joint par Le Monde, El Deadpool raconte avoir été mis au parfum par un clan WhatsApp. « J’ai trouvé ce numéro mexicain par un groupe de “SDLG”, où il apparaissait déjà, personne ne lui avait prêté attention ». Il refusera d’en dire plus.

Photomontage de Mr. Graso.

La SDLG ? Cette abréviation de siguedores de la grasa (littéralement « fans de la graisse ») désigne une communauté sud-américaine réunissant plusieurs dizaines de milliers d’internautes sur des groupes Facebook et WhatsApp privés. Son créateur est un Paraguayen connu sous les pseudonymes d’El Gordi ou MrGraso.

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Les membres de la « Grasa «, comme se surnomme cette communauté, sont reconnaissables à leur usage d’un smiley spécifique (:v) et d’un lexique propre. Pour définir les contenus et blagues virales, ils ne parlent pas de « mème », mais de « momo ». Edgar Rodriguez, auteur du blog hispanophone Vision linguistica, définit un momo comme « un type de mème (…), parfois c’est de l’humour noir, en général fait d’extraits de scènes de film, de caricatures, de youtubeurs ou de tout succès controversé ».

Le « momo » qui a lancé le numéro mexicain de « Momo ».

Proche dans l’esprit de forums comme 4chan ou le 18-25 de Jeuxvideo.com, la Grasa voue un culte au vandalisme de pages Facebook et aux montages absurdes. Le quotidien mexicain Milenio évoque des « sectes » spécialisées dans le « terrorisme social ». Facebook leur fait quotidiennement la chasse.

En juillet commence à circuler dans cette sphère grasiosa, une image mettant au défi le lecteur d’appeler un numéro mexicain – celui utilisé par El Deadpool dans sa vidéo. « Quand tu écris à ce numéro, ta vie n’est plus jamais la même. Prends garde à toi, Spartacus », y lit-on.

La nouvelle Momo de Dross, youtubeur horreur

Le 11 juillet, le youtubeur vénézuélien DrossRotzank, de son vrai nom Ángel David Revilla, consacre à ce « Momo » encore confidentiel une vidéo de huit minutes, qui le transforme en star du Web. Cet ancien journaliste, reconverti en auteur de science-fiction et vidéaste du surnaturel, jouit d’une communauté de 14 millions d’abonnés en Amérique du Sud.

Les initiés le savent : DrossRotzank vient de la Grasa, à qui il adresse plusieurs clins d’œil dans cette interprétation du « Momo », comme le smiley « : v ». Mais DrossRotzank attribue alors à « Momo » un nouveau numéro, japonais cette fois, qu’il prétend avoir trouvé sur Facebook.

Dans sa vidéo, la sculpture devient une interlocutrice effrayante et dangereuse. Captures d’écran floutées à l’appui, il évoque un personnage omniscient, qui envoie par WhatsApp des photos de meurtre introuvables sur Google, et dont il pourrait être l’auteur.

Certains internautes s’interrogent. Rien n’est plus simple que de filmer une fausse conversation, avec l’aide d’un complice. On sait par ailleurs DrossRoztank capable d’écrire en japonais. Et passé cette vidéo, le numéro japonais affiché n’a plus jamais été actif. Ce « Momo » nippon et sanguinaire est-il une invention de son cru ?

Le phénomène YouTube de l’été

Plus de 11 millions de vues plus tard, l’Ubume tueuse est toutefois devenue célèbre. Sa notoriété atteint un nouveau seuil quand Brian Sobrevilla, superstar mexicaine de YouTube, publie sa propre vidéo, humoristique cette fois, sur « le numéro maudit de WhatsApp ». Elle atteint les 16 millions de vues.

La figure de Momo commence alors à s’inscrire dans un registre classique d’Internet, celui du creepypasta : une légende urbaine teintée de mystère et d’effroi. YouTube est déjà rempli de soi-disant chasseurs de fantômes, qui, à l’aide de trucages, jouent sur l’appétence pour le surnaturel.

Les vidéos sur la femme-poule deviennent alors une nouvelle figure du genre. La recette est quasi immuable : le vidéaste annonce qu’il va contacter l’inquiétant personnage. Après des échanges quelconques, des phénomènes étranges se produisent : l’Ubume se montre agressive, profère des insultes, révèle des données personnelles. Parfois, la lumière s’éteint, les fenêtres claquent, des bruits se font entendre…

A la manière d’un Projet Blair Witch de 2018, ces mini-films d’effroi ne coûtent rien à produire, surfent sur un phénomène viral, et génèrent des millions de vues. La mode touche les Etats-Unis dans la foulée, puis la France en août.

Epidémie de Momos

C’est ainsi qu’apparaissent des numéros d’autres prétendues Ubume, américaine, biélorusse, ou encore française. « Je pense qu’il y avait bien une trentaine de numéros au moment du pic de buzz », explique Mysterator, fondateur du site Hellystar.com, qui suit les phénomènes creepypasta en France. « Cependant, c’étaient souvent des fakes, les numéros étaient vite surchargés par les appels et les messages WhatsApp. » Lui-même est entré en contact avec une dizaine de numéros. Sur les dix, moins de cinq lui ont répondu en jouant le jeu de la « Momo menaçante », celle popularisée par Dross.

Une figure fictive que chacun se réapproprie

Contrairement à ce que laisse aujourd’hui penser son surnom de « Momo Challenge », il ne s’agissait pourtant pas d’un jeu codifié. Juste une figure fictive que chacun se réapproprie pour tenter d’effrayer son audience. Pourtant, c’est bien un « défi » qu’évoque l’unité d’enquête sur les délits informatiques (UIDI) de l’Etat de Tabasco au Mexique dans son appel à la vigilance à l’égard des jeunes, le 13 juillet. Le service de cybersécurité évoque des risques d’extorsion de fonds, de vol de données personnelles, de harcèlement, mais aussi d’incitation à la violence, à l’automutilation, voire au suicide. En toile de fond, le spectre du Blue Whale Challenge, une série de défis lancée en Russie et associée en 2017 à une vague d’une centaine de suicides.

L’UIDI n’a pourtant connaissance d’aucun cas lié à « Momo » et communique par pure précaution, reconnaît-elle sur Twitter. Mais son intervention produit l’effet inverse : pour les médias, le « Momo Challenge » – et ses risques – sont nés. Le malentendu s’enracine à la suite d’un fait divers tragique. Le 25 juillet, El Diario Popular, un journal argentin, relate qu’une préadolescente de 12 ans s’est suicidée après s’être filmée en direct, alors qu’elle jouait au « jeu Momo ». L’autopsie révélera quelques jours plus tard que la jeune fille avait été victime d’une agression sexuelle, amenant les enquêteurs à changer de piste.

Numéros inactifs et passés de mode

La psychose autour du « Momo challenge » est d’autant plus ironique que… « Momo » est passé de mode. L’évolution des mentions du « Momo Challenge » sur Jeuxvideo.com, Reddit, Twitter ou Google dessine un phénomène qui a connu son pic au début du mois d’août et n’a fait que décroître depuis.

Et si quelques badauds manifestent toujours de la curiosité, celle-ci est vaine : les Momos ne répondent plus. A la mi-septembre, Le Monde a contacté une dizaine de numéros de prétendus « Momo » : la moitié sont invalides, l’autre ne sont plus actifs depuis mi-août. Le site 20 Minutes, qui s’y était essayé quelques semaines plus tôt, n’a pas eu plus de chance.

Depuis, plusieurs médias tentent de démythifier le « Momo challenge ». En Inde, le site anglophone de hoaxbusting Boomlive rapporte que des cinq décès attribués au pseudo-défi, aucun n’était lié à un jeu WhatsApp. De son côté, le Washington Post souligne que de manière générale, aucun lien avec des suicides n’est avéré, et en Suisse, la RTS conclut que l’existence même du « Momo Challenge » ne repose sur aucun témoignage fiable. Pourtant, celui-ci continue de faire peur. Sur ce point au moins, la Grasa a réussi son effet.

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